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S’accepter tel que l’on est par Mickaël Higgbburger

« Je vous partage un article de Michaël Higgburger que j’ai beaucoup apprécié. Cet article met l’accent sur l’importance de s’accepter tel que l’on est aussi bien dans nos aspects lumineux que dans nos zones d’ombre. C’est seulement grâce à cette acceptation inconditionnelle que nous pourrons devenir pleinement entier » 

Mon nom est Michaël Higgburger et je vis ici à l’ashram de Rāmaṇa depuis 16 ans. Avant cela, j’habitais aux Etats-Unis et je m’apprêtais à prononcer des vœux monastiques dans un ordre bénédictin lorsque, juste avant de m’engager définitivement, j’ai eu l’opportunité incroyable de pouvoir voyager pendant deux mois. Je suis venu en Inde en sachant, qu’après ce voyage, je ferais vœux de stabilité, intégrerais la clôture, et donc, ne pourrais plus sortir de mon ordre bénédictin. C’était en 2000.

Pendant ma formation bénédictine, j’avais lu tous les livres d’Henri le Saux, Svāmi Abhishiktānanda. J’avais entendu parler d’Aruṇāchala (montagne sacrée à Tiruvannamalai dans le Tamil-Nadu, est considérée par les fidèles comme la manifestation de Śiva) et je m’étais dit que, si j’en avais un jour l’opportunité, c’est là que j’irais.

Lors de la première nuit que j’ai passée ici, j’ai senti quelque chose de très très fort qui m’a « pris aux tripes ». J’ai perçu l’intensité de la méditation des gens qui étaient autour de moi et j’ai aussitôt pensé qu’il m’allait être très difficile de repartir après les deux mois qui m’étaient accordés.

Dans le monastère c’était très confortable. J’étais très bien entouré. Mais, à l’extérieur du monastère, la vie américaine ne soutenait pas la recherche spirituelle. Avec le recul, je me rends compte que j’étais sans cesse obligé de justifier mon choix de ne pas vouloir entrer dans les valeurs américaines de notre époque : consommer beaucoup, avoir des enfants, devenir très riche… Je ne voulais pas de cela. Et mon désir de vivre une vie monastique venait en partie de ce refus.

Même, à l’intérieur de l’Eglise, je devais toujours justifier mon appel à la contemplation parce que, cette partie contemplative et mystique, même dans l’Eglise, reste à la lisière et n’est pas vraiment admise.

Ici, c’est incroyable ! Partout, même dans les rickshaws, il y a des prières. Tout le monde soutient cette ferveur et vit cette foi. Aussi, quand j’ai mis le pied en Inde, ai-je tout de suite compris que toute cette lutte intérieure était résolue parce que j’étais arrivé dans un lieu qui soutenait la vie contemplative que je désirais et que, même dans l’ordre bénédictin d’où je venais, ordre pourtant contemplatif, j’avais du mal à vivre.

A la fin de ces deux mois je n’ai pas pu repartir. Mon billet d’avion était perdu. J’ai téléphoné au monastère qui m’a accordé une extension de quatre mois. Et j’ai acheté un deuxième billet de retour.

Vint le moment de partir. (La voix de Michaël se voile). J’avais mis tout ce que j’avais dans une malle pour les expédier au monastère et n’avais gardé, pour la dernière nuit, qu’un petit sac pour y mettre mes dernières affaires. Mais, physiquement, je ne pus rien mettre dans le sac. Quelque chose m’en empêchait.

C’était la première fois de ma vie que cela m’arrivait. Je suis allé à l’ashram de Rāmaṇa. J’y ai rencontré une femme à laquelle j’expliquai que je devais partir le lendemain aux États-Unis mais que je n’arrivais pas à faire mon sac. Elle m’a dit : « Rentre dans ta chambre, va dormir, et demain tu sauras ».

Le lendemain je n’ai pas pu prendre le taxi.

Ce fut très difficile. Mon séjour ici avait duré six mois et, pendant les deux derniers mois j’ai vécu une intense lutte intérieure. D’une part, j’avais un engagement de vie monastique dans l’ordre bénédictin, un milieu chrétien, et, d’autre part, en résidant ici, dans l’ashram, dans un milieu hindou, j’avais une grande ouverture. Ce fut, en moi, une lutte vraiment très intense et ce jour où je n’ai pas pu prendre le taxi fut très dur à gérer. J’ai cru que je devenais fou !

Ensuite ce ne fut pas facile non plus. Si, aujourd’hui, j’ai un lien très fort avec ma communauté bénédictine qui m’a beaucoup soutenu – j’y suis retourné dernièrement – au début, j’avais coupé tout lien avec elle. Je ne faisais plus partie de cet ordre.

Quand je considère ma vie dans les faits, ma vocation contemplative catholique est devenue une vie d’ashram hindou en Inde. Mais ce n’est pas une transformation, c’est plutôt un dialogue. Un dialogue entre le monde chrétien occidental et le monde hindou indien. Et je me sens toujours catholique.

Q ? A quel ordre étiez-vous rattaché ?

A l’ordre des Camaldules, qui est une branche réformée des bénédictins.

Q ? Comme le Père John Martin ?

Oui, l’ashram de Shantivanam est rattaché à cet ordre depuis 1984. John Martin est aussi Camaldule.

Si, au bout de 16 ans, je fais le bilan de cette lutte intérieure entre l’éducation reçue et mes choix de vie, un peu comme Henri le Saux qui, lui aussi, est passé par ces grandes luttes, je touche peut-être la question de ce siècle. Il est possible que l’Eglise ait perdu le feu mystique et que l’on cherche à le raviver. C’est ce qu’a fait Henri le Saux en venant ici. Il a ravivé le feu mystique de l’Eglise, peut-être pour le ramener au cœur de l’Eglise mais aussi pour aider d’autres chercheurs qui sentaient également ce feu perdu.

Je ne peux pas blâmer l’Eglise parce que nous sommes tous l’Eglise mais nous assistons peut-être à la mort de notre civilisation. C’est sans doute effrayant, mais, en même temps, quelque chose d’extrêmement prometteur surgit. J’en suis témoin chaque jour en rencontrant tous les chercheurs qui viennent ici. C’est, probablement, ce que nous cherchons tous ici.

La foi de nos parents, de nos grands-parents, consistait à demander à Jésus son aide, son assistance. C’est la foi du credo que l’on proclame tous les dimanches à la messe. On pourrait dire, ici en Inde, que c’est la voie de l’abandon. On s’abandonne à cette volonté divine, on demande de l’aide pour être guidé dans notre quotidien. Mais je ne pense pas que la prochaine génération soit appelée à la même foi. Ce n’est plus la même chose.

Ce qui se dessine n’est pas très clair mais, il est sûr que nous passons à autre chose car notre foi ne peut plus être la même aujourd’hui. Nous sommes de plus en plus ouverts sur le monde. Nous recevons aujourd’hui toute l’information disponible sur les autres traditions, sur les découvertes scientifiques… La foi post-Vatican II n’a plus rien à voir, de près ou de loin, avec ce qui se passait il y a 150 ans en arrière.

De la foi proclamée à la recherche d’expérience directe

D’une relation au credo où nous affirmions notre foi d’une manière formelle et structurée, nous passons maintenant à une recherche d’expérience directe. Je ne sais pas très bien ce qui se dessine mais il y a un changement.

A l’intérieur même des ordres contemplatifs où l’accent est mis sur la récitation du credo et où on doit faire sienne cette foi qui se proclame, il semble maintenant que proclamer une foi qui n’est pas expérimentée ne satisfasse plus complètement.

Jusqu’à présent, les ordres contemplatifs se référaient à l’évangile dans lequel apparaissent Marthe et Marie. L’exemple de Marie, qui choisit la contemplation, permettait de justifier un mode de vie tout à fait valide : la vie contemplative. Mais, aujourd’hui, dans notre vie, il y a certainement un peu de Marthe et de Marie et cela est nouveau. Cependant les laïcs ne sont pas guidés dans une voie intérieure, une voie contemplative.

Dans la tradition monastique japonaise il existe deux voies : la voie Jiriki, voie contemplative dans laquelle on cherche l’expérience en soi-même et la voie Tiriki dans laquelle on demande au Bouddha de prendre en charge sa vie. Les pratiquants récitent alors tous les noms du Bouddha.

Dans notre tradition occidentale, il existe aussi une partie faite de récitations, de sacrements, du credo, et une partie qui, jusqu’à présent réservée aux contemplatifs, consistait en recherche intérieure, en prières intérieures. Il semble maintenant que, pour plusieurs raisons, ces deux aspects se rencontrent et que nous assistons à l’émergence d’un nouveau paradigme. La vie de foi que nous expérimentons aujourd’hui est bien différente de celle des générations précédentes.

Je ne vais pas rentrer dans toutes les raisons de ce changement mais l’une d’elles me semble particulièrement importante. Peut-être même est-ce la principale. Le sol sur lequel la foi reposait est devenue mouvant et instable. Nous ne vivons plus dans le monde ancien. Nous vivons un temps nouveau dans lequel apparaissent des personnes en recherche spirituelle et qui, d’une façon très différente de celle d’avant, se mettent en quête intérieure du bonheur.

Moi-même me suis posé longtemps la question de savoir pourquoi j’ai fait ce grand saut de l’Occident jusqu’en Inde. Ici, je vois passer des milliers de chercheurs qui viennent chaque année et je constate que quelque chose émerge. L’été dernier, je suis retourné aux États-Unis après une très longue absence. J’ai été extrêmement étonné du sérieux de la recherche des personnes que j’ai rencontrées. C’était tout à fait nouveau pour moi. Mais cette recherche ne se fait plus d’une manière traditionnelle.

La blessure du cœur

On pourrait passer des jours à essayer de répondre à cette grande question : Qu’est-t-il en train d’arriver ? Que se passe-t-il ?

Néanmoins, je suis sûr que ce qui se vit en Occident, que ce soit dans la culture américaine 3 ou européenne, ne peut pas s’appliquer à ce qui est ressenti ou vécu ici dans la culture de l’Orient. En Occident il y a véritablement un basculement dans notre mode de recherche, mais ce basculement ne s’applique pas ici. Ici rien n’a vraiment changé.

Dans le monde occidental ce basculement est dû à une sorte de blessure psychique collective qui conduit à vouloir panser cette blessure et trouver des modes de guérison. Cela passe souvent par les psychothérapies. Et ces psychothérapies sont complémentaires à cette recherche intérieure que je vois émerger.

Cette blessure, presque universelle en Occident, je l’appelle la « blessure du cœur ». C’est une blessure centrale, profonde qui pourrait être liée à la perte de notre innocence. Et nous cherchons comment tenter de la réparer, comment tenter de la retrouver. Je vais développer.

En 1982, un grand événement eut lieu. Autour du Dalaï-Lama, des moines de mon propre clergé mais aussi des moines bouddhistes d’Occident se sont réunis pour réfléchir à cette blessure, à ce qui se passait en Occident. Ils ont découvert, qu’en Occident, les gens avaient une très mauvaise estime d’eux-mêmes.

Lors de ce grand rassemblement, quelque chose a émergé qui a beaucoup étonné le DalaïLama et les moines présents. Questionnés un par un, tous ceux qui venaient d’Occident, sans exception, portaient cette blessure, ce manque d’estime de soi. Ils ne savaient pas trop quoi en faire mais c’était apparu ainsi.

Je pense que c’est probablement une blessure universelle. Cependant, ici, dans la culture d’Asie et en Inde, elle ne domine pas. Ici, en Inde, il est possible de vivre avec des personnes qui ne portent pas cette blessure.

Cette blessure que nous, occidentaux, portons, provient de notre culture, de notre tradition religieuse et de notre héritage. Cela met en lumière ce contraste entre Orient et Occident.

Je me suis rendu compte que toute ma recherche intérieure était fondée sur le désir de m’améliorer, sur mon développement personnel. C’est très courant en Occident et il existe des bibliothèques entières sur ce sujet qui expliquent comment devenir plus performant etc. C’est très juste et ça a tout son sens en Occident mais, du point de vue de Dieu, du point de vue de l’amour, c’est une énorme violence que l’on se fait et c’est une mauvaise voie. C’est une belle idée en soi mais qui contient une erreur fondamentale.

Dans les grandes traditions, tous les grands mystiques le disent : le cœur même de notre personne, ce qui, en outre, est très vulnérable, c’est Dieu. Et on ne peut pas vouloir s’améliorer ou se rendre plus acceptable pour mériter l’amour de Dieu. C’est une terrible violence et c’est une impasse. On n’en a pas conscience.

Si nous considérons nos motivations, les intentions qui sont derrière nos actions, ce désir de « je veux m’améliorer », « je veux être meilleur » (ce que je dis n’est pas une critique), ce désir devient le terreau de notre recherche. Or ce n’est pas le message divin. Ce n’est pas ce que nous sommes.

Parce qu’à partir de là, notre recherche se fonde sur « il nous manque quelque chose » et nous pensons que nous ne sommes pas complets. Même chez les mystiques, il y a ce fond : « je ne suis pas digne de recevoir Dieu, je ne suis pas complet ». C’est le nœud de l’affaire, c’est le piège dans lequel on tombe.

Il est difficile de dire d’où cela vient. C’est probablement une surenchère portée sur le péché originel, même chez ceux qui ne sont pas croyants. Nous portons tous le poids de ce péché originel et de tout ce qui en découle dans nos cellules mêmes.

Dans le canon pāli (est une langue indo-européenne utilisée encore aujourd’hui comme langue liturgique dans le bouddhisme theravada), le bouddhisme originel ancien, il y a un terme qui est bhāvatāna. Tāna signifie la soif, désir ardent. Dans la tradition du bouddhisme Theravada l’origine du problème, notre sensation d’insuffisance, a été pointée.

En Occident, nous avons un désir ardent de devenir, d’être autre chose que ce nous sommes. Et si, dans notre quotidien, dans nos actes, dans tout ce que nous entreprenons, nous tentons de saisir la motivation, nous nous apercevons que, bien souvent, cette motivation de lire, d’aller sur Internet, de participer à des stages, de faire des recherches etc… puise son origine dans notre sensation d’être insuffisant. Nous ne sommes jamais « assez » quelqu’un et nous voulons toujours devenir davantage. Nous pouvons donc tenter de repérer d’où vient cette ardeur à nous transformer, à devenir quelqu’un d’autre…

Pourtant toutes les traditions spirituelles nous parlent de notre complétude originelle. Hélas, nous faisons comme si nous n’avions pas entendu.

Toutes les traditions enseignent que nous ne devons pas devenir autre et tant que nous pensons que nous pouvons accroître ce que nous sommes en acquérant de l’expérience, en multipliant les connaissances, les expériences, en allant voir toujours plus de maîtres, en lisant plus de livres, nous sommes dans l’erreur. C’est exactement le contraire qu’il faut faire et toutes les voies contemplatives en parlent.

Dans la tradition chrétienne il s’agit de la voie apophatique4 , la voie négative. Il ne s’agit pas de passer de ce que vous êtes à quelque chose d’autre, c’est tout le contraire : revenir à soi, enlever les couches de tout ce qu’on a accumulé et découvrir que le royaume c’est soi-même, c’est vous-même. Et ce vous-même c’est votre innocence. Vous n’êtes pas le lutteur qui cherche à devenir.

Pour revenir au début cette conversation où nous nous demandions pourquoi le fait de simplement réciter le credo ne suffit plus et ne fonctionne plus, c’est parce que nous avons perdu cette connexion au Soi. C’est une perte collective.

La mauvaise nouvelle, c’est que nous avons pu prendre une mauvaise voie mais, la bonne nouvelle, c’est que ce que nous cherchons, nous le sommes déjà. Nous le portons en nous.

Bouddha disait que deux choses importantes étaient requises pour une quête spirituelle : d’abord commencer la quête, se mettre en chemin, puis continuer. Alors, quand nous nous apercevons que la direction suivie est mauvaise, il nous faut simplement tenter autre chose.

Ce dont nous parlons en ce moment ne met nullement en avant la religion hindoue ou bouddhiste. C’est aussi ce qui se passe dans notre tradition chrétienne. L’évangile nous appelle à l’amour et l’Amour ultime est bloqué si nous ne sommes pas capables de nous aimer nous-mêmes.

Jésus a vécu la même chose sur la croix, les quatre membres immobilisés, cloués. Sa crucifixion symbolise l’échec de nos possibilités humaines, de notre mental qui possède savoirs et connaissances qui ne nous servent à rien. Le Père semble avoir disparu. Mais quand Jésus clame : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », le miracle se produit. C’est une révolution qui s’opère à ce moment-là. C’est l’apparition d’un nouveau paradigme.

Là, sur la croix, cet homme qui n’a plus rien ne supplie pas son père de le sauver. Il va dire « pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». A cet instant, la transformation est totale. Jésus est là, au cœur de sa vulnérabilité, au cœur de sa brisure, de sa blessure.

Nous pouvons comprendre que le plus grand obstacle qui nous empêche de trouver Dieu, c’est de vouloir cacher cette blessure au monde, de se la cacher à soi-même. Mais sachons que c’est au cœur-même de cette blessure, de cette brisure, que nous trouvons Dieu.

Cette scène de la croix est une révolution. Le Dieu qu’on invoquait chez des Hébreux en accomplissant des sacrifices n’a plus lieu d’être. Désormais cela passe par le cœur brisé car c’est le cœur brisé, blessé, qui est la source de l’amour.

Mais il faut qu’il y ait cette ouverture, cette reconnaissance de la blessure. Or, souvent, nous protégeons notre blessure, nous l’enfermons entre des murs, en vain. Ces tentatives deviennent des obstacles. Nous pensons que ces murs nous protègent de la souffrance. En réalité, ils nous éloignent de l’amour, ils nous séparent de l’Amour que nous sommes et qui est Dieu.

Avant sa crucifixion, pendant sa nuit d’agonie, Jésus lutte et prie pour ne pas passer par l’épreuve mais, finalement, il accepte : « Que volonté ta volonté soit faite ». Alors, lorsqu’il est sur la croix, l’amour jaillit. Au lieu de blâmer, de maudire, ce qu’il aurait très bien pu faire, c’est l’amour qui jaillit. Il devient Amour.

Dans la tradition juive de l’époque de Jésus, il n’y avait aucune notion d’incarnation, aucune pensée que Dieu puisse s’incarner sous une forme humaine. Aussi sommes-nous ici au cœur du nouveau paradigme chrétien, Jésus ne dit pas « adorezmoi » mais « suivez-moi ».

Mais nous n’avons pas entendu et sommes restés dans cet ancien fonctionnement d’adoration. Nous mettons Jésus très haut sur la croix, inatteignable. Nous nous représentons très en deçà, « pauvres pêcheurs » et, faisant cela, il nous est impossible de le suivre et, continuellement, nous trahissons la demande du Christ, son commandement qui ne dit pas « adorez-moi » mais « suivez-moi ».

C’est peut-être ce qui aujourd’hui, 2000 ans plus tard, commence à se réveiller. C’est peutêtre ce que nous devons faire, le suivre, c’est-à-dire, découvrir que Dieu réside en nous-mêmes et que la source de l’amour est là.

Q ? Comment, en Occident, pouvons-nous retrouver cette estime de nous-mêmes ? Comment revenir recontacter, réécouter, le « rien » pour retrouver notre âme ?

Nous arrivons là au point central de notre discussion.

Comment faire lorsque nous avons conscience qu’il y a un problème et comment faire de manière pragmatique ? La réponse est simple : il faut retourner au lieu de la brisure.

Dans toutes les histoires, les contes pour enfants, les contes de fées de toutes les traditions, on retrouve cette notion. Le héros doit aller au fond d’un puits, d’un lac… Il doit aller dans ce lieu effrayant, s’y retrouver seul, et rencontrer le dragon. Ensuite il va pouvoir sauver la princesse. La princesse symbolise le Soi.

Nous devons rencontrer et faire face aux dragons, à nos démons. Dans la vie contemplative nous connaissons bien cela. Ceux qui sont habitués à une longue pratique de la contemplation, en silence avec soi-même, ils rencontrent inévitablement les dragons, les démons. Il est certain que ces pratiques conduisent à ces rencontres, mais ce n’est pas grave. Si nous sommes capables de rester, de tenir, nous allons nous apercevoir que ces démons ne sont que du vent. Par contre, si nous faisons tout pour éviter d’aller dans ce lieu et éviter les démons, ils vont devenir monstrueux.

La réponse est donc celle-ci : retournez à l’endroit de la brisure.

Q ? Quand nous étudions la tradition occidentale, on nous dit que Dieu est au-dessus de nous ou à l’extérieur de nous. Il est assez facile d’adorer un dieu extérieur parce qu’on le prie, on l’adore, on lui demande pardon, on lui rend compte de ce qu’on a fait… Mais trouver Dieu à l’intérieur de soi et se responsabiliser comme le font les traditions orientales est une autre paire de manches. D’autre part, nous pouvons constater un grand regain des églises évangélistes qui ont beaucoup de succès et, en même temps, beaucoup de personnes méditent. Alors qu’est-ce qui prédomine ? De quel côté penche la balance ? Y-a-t-il un mouvement plus important qu’un autre ? Enfin, comment trouver Dieu à l’intérieur de nous ?

Je ne dis pas que nous devons choisir. Nous sommes appelés dans l’une ou l’autre des voies. Celle de l’adoration extérieure ou celle d’une quête intérieure. Ce qui est certain, c’est que, dans toutes les traditions et toutes les cultures du monde, cette recherche intérieure de Dieu, est fondamentale. Ce n’est pas une question de mode : ça a toujours été là.

En Californie il y a un nombre incroyable de mouvements de méditation. Dans chaque quartier des cours sont donnés aux enfants pour leur apprendre à méditer.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’arrêter tout ce que l’on fait pour se mettre à méditer, mais cette quête intérieure, cette pratique de l’intériorité, est à coup sûr la garantie que notre vie va changer dans le présent d’abord mais aussi dans le futur pour de multiples raisons.

Je pense que la principale raison de cette recherche intérieure est la souffrance. Bien sûr, il y a toujours eu de la souffrance, c’est la condition même de toute vie mais, la souffrance dont nous faisons l’expérience à notre époque, ne peut pas être guérie ou résolue par les anciens systèmes. Je ne parle pas des systèmes qui remontent à la Tradition, mais de ceux de nos parents et grandsparents.

L’innocence qui sous-tendait l’Eglise de jadis a disparu. Aujourd’hui, le point d’orgue de cette révolution de l’évangile, pour sortir de notre blessure, est de plonger au cœur même de la blessure. Les voies de la psychothérapie conduisent à passer à travers la blessure. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un passage à travers nos souffrances et nos blessures. Il n’y a pas d’issue en dehors de cette traversée qui demande d’expérimenter notre souffrance, non de la fuir.

La crucifixion de Jésus en est un grand symbole. Car comment pourrait-on représenter cette souffrance massive au niveau du corps, du mental, du psychisme, d’une autre façon que celle d’être cloué sur la croix ?

La seule issue c’est d’aller au cœur même de la blessure.

La mauvaise nouvelle dans tout cela c’est que nous devons passer par la douleur. C’est une douleur bien réelle que nous rencontrons.

La bonne nouvelle c’est la délivrance. Il y a un très beau passage dans l’évangile de Thomas, non reconnu dans le droit canon, qui rapporte ces paroles du Christ : « Si tu veux sortir et mettre dehors ce qui te ronge, ce qui est à l’intérieur, cela te sauvera et te rendra libre. Mais si tu ne le fais pas, ce qui est à l’intérieur te détruira ».

Je vais reprendre un poème, écrit par David Whyte un Irlandais.

Cela se passe au Népal dans les années 1970. David Whyte a environ 25 ans. Il arrive dans un petit village isolé qui s’appelle Braga. Il veut aller voir un temple proche mais trouve les portes fermées. Il attend le prêtre qui a les clés. À l’entrée de ce temple il y a une représentation que l’on trouve très fréquemment qui s’appelle Vajrapāni. C’est un démon moitié homme-moitié femme. La moitié homme, Vajra, porte un couteau qui tranche les illusions de l’ego. La moitié femme, Pāni, est l’aspect féminin. David Whyte attend l’ouverture des portes en contemplant cette sculpture.

Alors que près de la porte, Nous voyons la figure terrible, Les yeux féroces demandant : Allez-vous passer?

Cinq ou six autres personnes attendent. Le prêtre arrive avec une lanterne. Et, quand il entre, il éclaire l’intérieur et dirige la lumière vers la voûte de ce petit temple. Ce que le jeune homme voit alors est incroyable, indicible. Tout en haut, sont sculptés dans le bois, les visages des bodhisattvas, des éveillés dans la tradition bouddhique. C’est magnifique ! Éclairé à la lanterne parce qu’il fait très noir, l’ensemble est saisissant. David Whyte, se demande qui a pu sculpter avec tant d’amour ces visages qui incarnent le silence et l’amour. Il est certain que le sculpteur a contacté quelque chose de grand et devait vivre lui-même de ce silence.

Suite à cette expérience David Whyte écrit : (Michaël cite et commente à la fois le poème.)

…Si seulement nos propres visages permettaient à l’invisible, le sculpteur, le créateur, d’amener l’amour à la surface…

Le sculpteur invisible, c’est le créateur, c’est Dieu.

…Si nous savions, comme le sculpteur invisible, creuser le bois avec l’instrument qui tranche, le ciseau à bois, jusqu’au cœur du bois, et aller jusqu’au cœur de la matière…

Ce sont tous les défauts présents dans le bois qui permettent, avec le ciseau, d’aller jusqu’au cœur, de faire transpirer l’amour. Ce ne sont pas des erreurs, des failles dans le bois, c’est, au contraire, ce qui guide la main du sculpteur pour aller au cœur.

Si nous étions capables d’être, comme le sculpteur céleste guidé par les défauts du bois, guidés par les défauts de notre chair, nous nous servirions aussi de nos défauts et ne serions pas saisis par la peur…

Là où sont nos failles et nos défauts, là aussi est la porte d’entrée pour aller au cœur de nous-mêmes.

Tant que nous luttons,nos yeux sont blessés par le chagrin,et nos bouches sont asséchées par la douleur. Si nous pouvions nous abandonner aux coups du ciseau du sculpteur invisible, les lignes de nos visages deviendraient des rivières qui nourriraient la mer,là où les voix se rencontrent, et nous parlerions des créatures de la montagne, du ciel, et des nuages. Si nous étions capables de nous livrer au couteau du sculpteur invisible, nos visages changeraient chaque jour, se transformeraient chaque jour, deviendraient plus jeunes chaque jour, et nous nous rassemblerions tous au confluent de toutes les célébrations.

Dans ce poème, dont seule la fin est citée, ce sont les parties les plus honteuses, les plus réprimées et plus condamnées de nous-mêmes, nos impuretés, notre égoïsme, nos avidités… toutes ces choses qui restent dans l’ombre, qui deviennent les chemins véritables du Seigneur. Il est dit dans l’évangile qu’il ne faut rien laisser de nous-mêmes en arrière. Cela veut dire que nous devons avoir un esprit de miséricorde pour toutes nos zones d’ombre. Mais aussi les reconnaître, les aimer et se pardonner. Là nous pouvons comprendre la miséricorde de Dieu qui pardonne. Par contre si nous les laissons en arrière, si nous ne nous en occupons pas, si nous ne les aimons pas, nous ne pouvons pas être heureux et ne pouvons pas découvrir l’amour de Dieu.

Je pense bien sûr, qu’un travail sur soi est nécessaire. Mais j’ai du mal à dire que les lectures ne nous aident pas. Vous nous avez dit, c’est en tout cas ce que j’ai compris, que ce n’était pas la peine de lire des tas de choses mais, pour ma part, j’ai besoin de lectures pour avancer.

Tout à fait d’accord.

Q ? Comment ne pas confondre cette quête intérieure qui nous délivrerait et nous permettrait de retrouver notre innocence avec une introspection qui augmenterait encore notre ego narcissique. Comment ne pas se tromper ?

Oui c’est un problème. C’est une difficulté qui nous fait prendre conscience que nous sommes vraiment à un carrefour, sur une ligne de crête.

C’est vraiment un problème parce que, ce moi narcissique, cet ego, ne lâche pas facilement le terrain. Il revient à chaque fois que nous tentons de trouver une voie pour le court-circuiter ou simplement pour le faire tenir tranquille. Il trouve un autre chemin et se réaffirme. L’ego est la dernière chose qui s’abandonne et il demeure un problème jusqu’au bout.

Il existe des voies qui proposent de tuer l’ego. Mais ce n’est pas la bonne façon de faire. Il est préférable de s’observer, de se rendre compte que nos actions, nos comportements ne sont motivés que par ce que l’on désire pour soi. La cause de ceci est que nous ne nourrissons pas assez notre propre cœur.

Nous devons avoir une attitude bienveillante avec notre ego et, en même temps, nourrir le vrai Soi.

FIN

Traduction simultanée: Claire Dagnaux

Transcription et notes: Jacqueline Danigo

http://www.cheminsdeshanti.fr/

Interview réalisée par l’association Chemins de Shanti le 2 janvier 2017