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Pourquoi je transmets le yoga ? par Laurence Maman

Parce que le yoga a changé ma vie, et en quelque sorte l’a sauvée.

Parce que j’ai fait l’une des très bonnes rencontres de cette vie, en la personne de mon professeur T.K.V. Desikachar.

Parce que, année après année, je continue de m’émerveiller des effets incommensurables de cette pratique, sur l’équilibre physique et énergétique, sur la pensée et le psychisme, sur la capacité d’agir.

Parce que je pense que l’intelligence de ce que j’ai reçu mérite d’être respectée et de passer aux générations suivantes, suivant une chaîne de transmission, ce que les Indiens appellent paramparā.

Comment, alors, ne pas se sentir une responsabilité dans la transmission de ce darśana, c‘est-à-dire ce « point de vue », comme le dit la philosophie indienne ?

Une histoire familiale

Mon père est mort subitement quand j’avais 15 ans 1/2, alors même que les années précédentes avaient déjà été marquées par plusieurs accidents de santé angoissants  chez des proches, et par plusieurs deuils. Beaucoup pour une très jeune fille. Sidérant, en fait. L’époque n’était pas tellement à la préoccupation d’amener chez un professionnel mon frère et moi, pour qu’il puisse les écouter, qu’ils puissent, en parlant, démêler quelque chose de leur désarroi. Mais le yoga devenait à la mode et ma mère et moi avons commencé à fréquenter les cours proposés dans notre ville… début d’un périple qui nous a conduites en stages, puis en formation à l’Ecole Française de Yoga, puis aux Rencontres de l’Union Européenne de Yoga à Zinal où j’ai commencé par faire connaissance avec François Lorin et Claude Maréchal puis avec Desikachar…. jusqu’à avoir la chance de partir étudier tous les ans avec lui à Madras-Chennai pendant de nombreuses années.

 

Effets des premières expériences en yoga

Je vais tenter d’en décrire le souvenir, retrouver ce qui me fait aller jusqu’à dire que le yoga m’a sauvé la vie : cette pratique, au sein même d’une monde chamboulé par les effets de la perte, a institué un espace différent: au-delà de la gratification de sentir mon corps se placer avec facilité et plaisir dans des postures inhabituelles, un accès, lors des séances, à un autre temps, plus lent, à des moments de paix et de silence; un accès à la sensation de respirer, d’être vivante avec le souffle; un peu plus tard, un accès à un regard philosophique différent sur le monde. Et aussi, assez vite, la rencontre de personnes qui partageaient cet intérêt et constituaient comme une nouvelle famille.

Rétrospectivement, je pense qu’était absente une dimension de prise de parole en mon nom propre, sur ce que je vivais. Alors même que la pratique du yoga ouvre à cette possibilité, encore faut-il décider de l’exploiter et c’est ce que je tente d’encourager auprès de mes élèves. D’ailleurs, ma rencontre avec les élèves de Desikachar puis avec lui en personne a été forte, également, parce que chacun, après les pratiques ou lors de l’étude, était invité à s’exprimer, à échanger, à trouver les mots pour dire au mieux ce que l’on ressentait ou ce à quoi faisaient penser les thèmes abordés. 

En résumé : d’abord les effets de la pratique, dans sa dimension la plus corporelle et énergétique puis psychique ; et les effets de – et sur – la parole. En somme quelque chose de très complet et simple à la fois, que je n’ai cessé d’avoir le désir de pratiquer et transmettre jusqu’à aujourd’hui. 

 

Un probable dharma de soignante

C’est en regardant en arrière que je vois que la santé – au sens large – d’autrui est pour moi une préoccupation.

J’ai choisi de faire des études de médecine, comme mes parents. Les ayant terminées – ce à quoi l’insistance de T.K.V. Desikachar n’est pas étrangère –, je me suis installée comme homéopathe et ai exercé pendant quarante ans. Pendant toute cette période, j’ai en parallèle enseigné le yoga et formé des professeurs, ce que je continue à faire depuis que j’ai cessé la pratique médicale. Et depuis plus de dix ans, je fréquente avec grand intérêt une école de psychanalyse et reçois aussi des personnes selon cette orientation : pour moi c’est le prolongement du travail de svādhyāya, « étude de soi », central en yoga.

J’ai souvent pensé à arrêter plus tôt ma pratique médicale, avec ce qu’elle comportait de prescriptions faites à des patients qui attendaient essentiellement une prise en charge sans qu’eux-mêmes prennent une part active à leur équilibre : le yoga et la psychanalyse me conviennent beaucoup mieux.

Car je préfère depuis longtemps voir les gens se stabiliser, respirer, s’épanouir et mieux penser grâce à des outils simples qu’ils peuvent eux-mêmes mettre en œuvre : en yoga, cela se fait par l’intermédiaire de la relation avec le professeur, que j’incarne auprès de mes élèves. Il s’agit d’établir une certaine discipline de pratique, un cadre qui, de fait, permet une ouverture à de nouveaux points de vue, de nouvelles actions, un accès à son propre désir.

J’espère donc contribuer à rendre autrui indépendant plutôt que dépendant.

 

Une vie marquée par T.K.V. Desikachar

Je considère avoir une part de responsabilité dans la transmission de l’esprit de son enseignement.

C’était un professeur très singulier. Lors des cours particuliers, il se rendait extrêmement présent et disponible. Je pense qu’il a bravé, en recevant tant d’élèves occidentaux, l’opinion d’un certain nombre des Indiens de son entourage. Solidement ancré dans sa tradition, il était en même temps sans cesse novateur, marque d’une liberté intérieure qui, je pense, n’a plus pu s’exprimer dans les dernières étapes de sa vie.

Voyant, je suppose, que j’avais intégré les bases de sa vision du yoga, il m’a beaucoup encouragée à être également créative. C’est cet esprit que je souhaite transmettre.

 

Défendre une vision et une mise en pratique du yoga

Je considère que l’intelligence subtile révélée par le yoga et mise en jeu dans sa pratique a plus que jamais besoin d’être présentée voire défendue à notre époque où un professeur de yoga peut être formé en un temps record. C’est pourquoi je continue à former des générations de professeurs même s’ils peuvent de plus en plus s’étonner de voir des formations durer quatre ans et impliquer un travail soutenu, pratique, théorique et pédagogique.

 

C’est à T.K.V. Desikachar, à François Lorin et Claude Maréchal, à tous mes collègues en compagnonnage et aux générations qui prennent la relève que je dédie ces quelques lignes. 

 

 

Formée par TKV Desikachar à partir de 1977, fondatrice du centre CAY, Laurence Maman est médecin, orientée par la psychanalyse, et formateur de professeurs de yoga. Par ailleurs, elle pratique et enseigne le chant depuis de nombreuses années.