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La dynamique de l’ombre dans l’inconscient

« Je vous partage une interview interéssante de Lily Jattiot, psychologue jungienne, ancienne coilaboratrice d’Arnaud Desjardins qui nous invite à regarder et épouser la part d’ombre qui sommeille en nous pour grandir.

Je vous invite à la lecture et aussi à l’expérimentation ! »

Frédéric Blanc : Qu’est-ce que l’ombre ?

 Jattiot : L’ombre est une notion qui nous vient du psychanalyste suisse Carl Gustav Jung. Elle est inséparable de l’idée que le psychisme humain se compose d’une part consciente et d’une part inconsciente. Je dirais que l’ombre est la part de l’inconscient qui est en dynamique particulière. Elle s’approche de manière obstinée du seuil de la conscience. Elle s’adresse à elle dans le but de s’en faire reconnaître. Tant que nous n’avons pas intégré l’ombre, elle continuera à se manifester dans nos vies sous formes d’actes inconsidérés ou inexplicables. En apparence tout au moins… Si nous sommes attentifs, nous remarquerons que nous faisons beaucoup de choses sans bien savoir pourquoi. Eh bien, l’origine de ces actions mystérieuses est le plus souvent à chercher du côté de l’ombre.

Frédéric Blanc : L’ombre est-elle la seule partie de l’inconscient à être en dynamique ?

Lily Jattiot : Ce n’est pas exactement cela : l’inconscient est vivant, il est donc continuellement en dynamique. Les racines de l’inconscient individuel sont tellement profondes qu’elles plongent dans l’inconscient collectif. Aux yeux de la conscience, de très larges couches de cet inconscient peuvent donc sembler dormantes. L’ombre est la part de cette immensité psychique qui paraît « vouloir » se manifester. Elle est animée d’un mouvement spontané vers la conscience, la dynamique du Soi.

Frédéric Blanc : Tu parlais d’actes inconsidérés ou inexplicables. Pourrais-tu illustrer ton propos par un exemple ?

Lily Jattiot : Le moi a certaines intentions. Puisque mon dernier livre porte sur le pouvoir, imaginons un chef d’entreprise plein de bonne volonté. Il est sincèrement désireux d’être un bon manager : il va montrer une direction à son équipe, fixer des objectifs réalistes, tenir compte de l’avis de ses collaborateurs etc. Et puis, une fois en situation, se produisent toutes sortes de choses incompréhensibles. Ce qu’il dit ou fait ne correspond pas du tout à son objectif de départ. Sa main droite ne sait plus ce que fait sa main gauche…On reconnaît l’ombre à ces incohérences incompréhensibles et ce manque de lucidité flagrant qui donne l’impression que la personne a une langue de bois ou une langue bifide de serpent.

Frédéric Blanc : Comment expliquer cette incohérence ? D’où vient par exemple l’impuissance de ce chef d’entreprise à agir en conformité avec ses propres valeurs ?

Lily Jattiot : Les raisons peuvent être extrêmement diverses. Il est par exemple possible que cet homme ait une angoisse du résultat bien plus puissante qu’il ne se l’imagine. En théorie il est tout à fait prêt à déléguer des pouvoirs à ses collaborateurs. Mais dès que ceux-ci commencent à prendre trop d’initiatives et à privilégier des solutions différentes de celles qu’il avait envisagées, il commence à paniquer et se met à intervenir de manière intempestive et dirigiste. Il est également possible qu’il ait peur d’être dépassé. Comme cette peur s’origine dans une histoire personnelle dont il n’a pas conscience, il n’est plus maître de ses actes. Aussi, dès que l’un de ses collaborateurs commence à occuper un peu trop de place ou à être un peu trop brillant, il ne pourra pas s’empêcher d’essayer de le rabaisser ou de lui mettre des bâtons dans les roues. La liste de nos complexes est interminable… À ceux que je viens d’évoquer, je pourrais par exemple ajouter les personnes qui se sentent coupables de prendre le dessus ou qui ne se sentent pas assez légitimes pour donner des ordres. Sans parler de tous ceux qui ont peur du conflit. Leur obsession consiste à toujours arrondir les angles quitte à brouiller le message qu’ils veulent faire passer. Pas facile pour les collaborateurs qui hésiteront en permanence sur la ligne à suivre ! Il est important de garder en tête que même lorsque le mécanisme est énorme, il demeure totalement invisible pour la personne concernée.

Frédéric Blanc : Ce dont tu me parles ne me paraît pas bien méchant. Je suis certainement très naïf mais je me dis qu’il ne doit pas être difficile de s’avouer à soi-même que l’on reste très attaché à l’argent ou que l’on craint qu’un collaborateur plus jeune et talentueux nous fasse de l’ombre…

Lily Jattiot : C’est loin d’être aussi évident que tu sembles le croire. Beaucoup de personnes, même très intelligentes, ignorent tout des ressorts cachés de leurs comportements. Elles sont persuadées de se connaître en profondeur et n’arrivent pas à croire que leur vision puisse comporter des angles morts. C’est pourtant le lot commun de l’humanité. En chacun de nous existent des zones qui nous demeurent totalement inconnues. Nous avons tout intérêt à l’admettre et à commencer à les explorer. Si nous nous y refusons, nous continuerons à prendre des initiatives qui nous paraîtront incompréhensibles et dont nous ne serons pas prêts à assumer les conséquences. [Silence] Les situations de pouvoir sont particulièrement redoutables à cet égard. Elles viennent inévitablement réveiller les parts inconnues que nous portons en nous… Les dirigeants commettent généralement deux grands types d’erreurs. Les premiers pêchent par excès de présence. Ils veulent absolument tout contrôler et ne laissent aucune marge de manœuvre à leur collaborateurs. Les seconds font exactement l’inverse. Ils sont manquants. Au moment où il serait nécessaire de rappeler l’équipe à l’ordre et de redéfinir les objectifs, ils font défaut et se laissent déborder. Il arrive aussi qu’un dirigeant compense brutalement un excès par un autre. Un patron qui a fait preuve d’un laxisme excessif peut soudain piquer une colère homérique qui restera incompréhensible pour son équipe. Pour être efficaces, nos collaborateurs ont besoin de se sentir en terrain connu, c’est-à-dire de pouvoir anticiper nos comportements. Dans le cas contraire, cela peut représenter une vraie perte de sens pour eux. Il est donc essentiel de se laisser lire clairement. Et c’est là que l’ombre vient semer la pagaille.

Frédéric Blanc : Oui. J’imagine qu’il sera d’autant plus difficile de se laisser lire clairement si on ne sait pas se lire soi-même…

Lily Jattiot : Exactement.

Frédéric Blanc : Comment est-il possible de reconnaître notre ombre alors qu’elle constitue précisément notre angle mort ?

Lily Jattiot : Aussi surprenant que cela puisse paraître c’est l’ombre elle-même qui va nous y aider. Comme je l’ai dit au début de cet entretien, l’ombre n’a qu’un seul « objectif » : se faire reconnaître par la conscience. Elle va se débrouiller pour nous mettre dans des situations où elle aura toutes les chances d’apparaître en pleine lumière. Malheureusement pour nous les situations en question sont rarement confortables. Mais c’est le prix à payer pour apprendre quelque chose sur nous-mêmes. Nous devons ravaler notre orgueil et accepter de nous mettre à l’école de la vie. Autrement dit, il nous faut prêter une attention toute particulière aux erreurs que nous commettons et aux difficultés qui en découlent. On ne peut apprendre qu’en se trompant. Souvent, il nous faudra même multiplier les erreurs avant d’être en mesure d’en tirer une leçon. Le secret réside dans le rapport que nous entretenons avec nos échecs. Lorsque mon action n’a pas donné le résultat que j’espérais, je peux m’accabler et tenter de sauver la face à tout prix en dissimulant mon erreur aux yeux de mon entourage. Je peux aussi considérer cet échec comme une opportunité à progresser en essayant de comprendre où et pourquoi je me suis trompé. Le problème est que dans un monde où on n’a pas le droit à l’erreur, il va être très difficile d’apprendre. Cet idéalisme est très coûteux. Il nous enlève toute possibilité d’entrer en relation avec notre ombre et d’en intégrer le contenu… Notre ombre se comporte un peu à la manière de nos proches. Si nous nous montrons ouvert et accueillant à son égard, elle va nous apporter son énergie et va même compléter le travail du moi. Dans certaines circonstances, le soutient de l’ombre peut s’avérer décisif. En revanche, si nous faisons preuve d’hostilité à son égard et poussons la folie jusqu’à croire que nous avons le pouvoir de la contrôler, celle-ci va se révolter et nous allons finir par avoir de gros ennuis avec nous-même tout comme nous pouvons en avoir avec nos amis ou notre famille.

Frédéric Blanc : Pour résumer, nous pouvons reconnaître les manifestations de l’ombre en prêtant attention aux incohérences apparentes de notre comportement et aux situations difficiles qui en résultent. Existe-t-il d’autres moyens de savoir qu’elle est à l’œuvre ?

Lily Jattiot : Oui. L’ombre se manifeste souvent sous forme de projection. Un des moyens de reconnaître ce mécanisme consiste à passer en revue les personnes de notre entourage. Dès que nous constatons que l’une d’elles fait lever en nous une émotion d’une intensité disproportionnée comme la colère, le mépris, la haine, le dégoût ou bien, tout au contraire, la fascination, l’admiration, l’envie, nous pouvons être sûr que l’ombre est à l’œuvre. Aussi perturbantes que soient ces émotions, elles peuvent s’avérer précieuses. A condition de ne pas nous identifier à elles, nos émotions peuvent nous donner des indices éclairants sur notre vie intérieure. Nous pouvons les utiliser comme un radar. Elles nous permettent de détecter la présence de quelque chose là où nous étions persuadés qu’il n’y avait rien. Mais pour cela il faut d’abord que nous parvenions à assumer le fait que nos émotions nous appartiennent et parlent presque exclusivement de nous. Et ça, ce n’est pas gagné ! Ce n’est tellement « pas gagné » que les bureaux sont remplis de gens qui se détestent et se craignent mutuellement. Beaucoup d’entre nous en resterons à ce premier stade. Plutôt que de nous rendre à nous-mêmes nos détestations, nous préférons les projeter sur les patrons, les syndicalistes, les immigrés, les chômeurs etc.

Frédéric Blanc : Tu parles de la nécessité d’entretenir de bonnes relations avec l’ombre ? Quels sont les moyens pour y parvenir ?

Lily Jattiot : Tu sais bien qu’il existe une multitude de manières d’apprivoiser nos démons intérieurs. La première étape consiste à avoir le courage de se faire aider. C’est une démarche qui n’est pas toujours évidente. Mais lorsque nous sentons que notre vie intérieure est devenue un champ de bataille et que nous sommes terrifiés à l’idée que tout explose, il est indispensable d’admettre que nous ne pourrons pas régler le problème par nous même et qu’il est temps de recourir à une aide extérieure. Nous avons tous besoin d’un confident capable de nous accueillir sans crainte et sans jugement. Nous pouvons bien sûr pratiquer l’introspection, écrire un journal intime ou parler aux murs de notre chambre mais le fait de se confier à une personne en chair et en os nous aide à nous connecter à nous même et à l’humanité. Que cela ne nous empêche cependant pas de recourir à toutes les techniques artistiques qui sont à notre disposition. Il est possible de dialoguer avec l’ombre en peignant, en chantant, en dansant, en écrivant etc. Dans le cas de la peinture par exemple un dialogue s’établit entre notre intention consciente, nos mains et la toile. En d’autres termes, l’art permet de créer un espace au sein duquel le moi et l’inconscient vont se rencontrer. Dans le meilleur des cas, ce rapprochement nous aidera à transformer un conflit explosif en en une dynamique créative. Au fond, c’est ça la visée du Soi. Quand le Soi va bien, il devient créateur. Et une psychanalyse réussie consiste précisément à créer un espace créateur. Un espace au sein duquel peut jaillir quelque chose de nouveau. D’autres espaces relationnels peuvent jouer un rôle similaire : l’amitié, la vie de couple… L’important est de ne pas rester seul, coupé de soi-même et des autres.

Frédéric Blanc : Les mots que tu emploies dans ton livre pour évoquer l’ombre sont dans l’ensemble assez peu engageants. Au cours de ma lecture, j’ai par exemple relevé les termes de « monstre », de « loup », de « diable » et de « dragon »… Voilà qui ne nous donne pas forcément envie de faire plus ample connaissance avec cette ombre et encore moins d’entrer en amitié avec elle…

Lily Jattiot : Ça dépend. Certaines personnes adorent les loups et d’autres prennent plaisir à fréquenter les dragons… Il est vrai que dans la symbolique universelle, l’ombre est souvent associée à tout ce qui nous fait peur et même terreur. Nous savons que ces objets de crainte sont confondus de manière presque automatique avec les « forces du mal ». Pour le moi, l’ombre représente avant tout ce qui lui est inconnu. S’il la considère comme une ennemie c’est d’abord parce qu’il a le sentiment qu’elle met son ordre en péril. Parce que l’ombre est puissante et incontrôlable, le moi la voit comme inhumaine et dévorante. Face à l’ombre, nous sommes comme des enfants effrayés par le noir.

 

Frédéric Blanc : N’existe-t-il cependant pas une disproportion évidente entre la puissance des termes que tu utilises pour décrire l’ombre et les exemples très anodins que tu nous a donnés de ses manifestations ?

Lily Jattiot : Ces outrances de langage sont très fréquentes. Dès qu’un conflit éclate, nous avons tendance à diaboliser l’adversaire. Nous projetons sur lui nos fantasmes les plus délirants : il va « m’étouffer », me « tuer », me « dévorer ». Tu n’as qu’à écouter la manière dont les gens se racontent leurs journées de travail pour te rendre compte que ce genre d’exagérations est monnaie courante. [Silence] Le jour où nous aurons le courage et la lucidité suffisante pour reconnaître la nature réelle de nos peurs, nous pourrons considérer que nous avons accompli un sacré chemin… Lorsque nous parvenons à nommer notre peur, à dire par exemple : j’ai peur que telle ou telle personne prenne ma place, c’est que nous avons déjà commencé à l’apprivoiser. Notre peur reste monstrueuse tant qu’elle n’a pas été nommée. Je t’ai volontairement donné des exemples simples mais derrière chacun d’eux peut se cacher une réalité humaine extrêmement complexe et douloureuse. Pour certains, le simple fait de réussir à démêler tout cet écheveau de hontes et de non dits constitue un accomplissement héroïque. Mais à partir du moment où nos diables apparaissent en pleine lumière, ils se dégonflent souvent. Et on se demande effectivement pourquoi on en a fait tout un foin. Ce qui est proprement terrorisant c’est de se sentir agité par des forces dont on ignore totalement la nature. [Silence] Ceci dit, l’ombre est terrorisante à juste titre parce que les conséquences de notre inconscience crasse, qu’elle soit individuelle et surtout collective, sont gravissimes: nous en avons des preuves chaque jour!

Frédéric Blanc : Peut-on concevoir l’existence d’une ombre positive ?

Lily Jattiot : Tout à fait… Il existe, je le disais plus haut, des projections positives. Nos adorations sont des parts inconnues de nous-mêmes que nous reconnaissons chez les autres… En réalité l’ombre n’est ni positive ni négative. Nous refoulons l’ignoble autant que le sublime. Comme les contenus refoulés ont toujours subi une pression, ils auront plutôt tendance à remonter de façon négative mais cela ne signifie pas que l’ombre est unilatéralement mauvaise. Plutôt que l’ombre elle-même, c’est l’inconscience qui est inquiétante. L’ombre contient par exemple toutes les parts inaccomplies de nous mêmes. Tout ce que nous nous interdisons parce que nous n’osons pas imaginer que cela puisse nous appartenir. Très souvent, l’ombre contient également notre énergie spirituelle. Cela nous surprend beaucoup. L’énergie spirituelle trouve refuge dans l’ombre parce que nous ne lui laissons pas ou peu de place dans nos vies. L’ombre peut tout à fait être porteuse de la meilleure part de nous mêmes. Cette part peut d’ailleurs également inclure certains aspects que nous aurions trop rapidement tendance à taxer de « mauvais ». Je pense à la colère par exemple. La colère peut être très positive. Il est de saintes colères qui contribuent à faire bouger les choses. C’est la même chose pour l’agressivité. Comment une personne totalement dépourvue d’agressivité peut-elle se débrouiller dans la vie ? Comment va-t-elle faire pour se défendre ? Pour se faire respecter ?

Frédéric Blanc : C’est bête mais quand je pense « projection », je pense spontanément et exclusivement à des projections négatives. Je n’arrive pas vraiment à me résoudre à l’idée que nous puissions également refouler certains de nos aspects les plus positifs. Quelles formes prennent ces projections positives ?

Lily Jattiot : La forme la plus courante de la projection positive est celle de la fascination. Il est donc très intéressant de s’arrêter sur les gens qui nous fascinent. En tant que psychanalyste, j’ai très souvent travaillé avec des gens qui me disaient qu’ils étaient coupés de leurs désirs et avaient du mal a déterminer ce qu’ils voulaient faire dans la vie. Une des manières que j’ai trouvées pour sortir mes patients de cette impasse est de les faire parler des gens dont le talent ou le destin leur font envie. Cela les aide à se rapprocher de leur désir. Il est également intéressant de prêter attention à la jalousie. Ceux que nous jalousons sont toujours porteurs de quelque chose que nous sommes incapables de reconnaître en nous mêmes.

 

Frédéric Blanc : En lisant ton livre, j’ai relevé beaucoup de phrases ou de formules particulièrement frappantes. Pour finir cette interview, je vais te demander d’en commenter quelques-unes pour nous. Commençons par la plus paradoxale : « l’ombre est en lien direct avec le Soi ».

Lily Jattiot : C’est un aspect que j’aborde très en détail dans mon premier livre. Je me contenterai donc de rappeler ici quelques points clefs. La dynamique de l’ombre prend sa source dans ce que C.G. Jung appelle le Soi. L’ombre est l’envoyée du Soi. Pour aller vite on peut dire que le Soi est l’archétype de la totalité. Il vise au déploiement de l’ensemble de nos potentialités. Hors, toutes les cultures favorisent le développement de certaines qualités au détriment de certaines autres. Ces dernières sont écrasées ou tout simplement laissées en friche. Elles ont alors tendances à s’enfoncer dans l’ombre. Le Soi fait en sorte qu’elles n’y restent pas. [Silence] C’est vrai qu’il est amusant de penser que les « diables », les « dragons » et autres « monstres » qui nous donnent tant de fil à retordre sont les envoyés du Soi… Si on va jusqu’au bout de cette logique paradoxale on peut même considérer tous les ennuis auxquels nous sommes confrontés comme des envoyés du Soi venus à nous pour nous donner l’opportunité de découvrir et de déployer des aspects encore inconnus de nous-mêmes. Cela peut réellement changer la manière dont nous abordons nos problèmes.

Frédéric Blanc : Je comprends bien que le Soi veuille entrer en contact avec nous mais n’aurait-il pas plus de chances d’être entendu s’il ne nous faisait pas systématiquement passer ses messages par l’intermédiaire de « diables ». Ne pourrait-il pas nous envoyer également quelques « anges » ?

Lily Jattiot : En fait il nous envoie les deux. Les « diables » voyagent toujours en compagnie des « anges » et vice versa. Tu sais bien que lorsque l’on traverse des épreuves, la vie nous apporte aussi les aides nécessaires pour les surmonter. Encore faut-il se donner les moyens de les voir et de les recevoir. C’est parfois difficile. Surtout quand nous sommes engloutis par la terreur. Notre attention se focalise alors exclusivement sur les aspects désespérants de la situation et nous nous fermons à la grâce. [Silence] Les « anges » aussi font partie de l’ombre. De temps en temps, ces esprits inconnus nous soufflent de bonnes actions dont nous sommes les premiers surpris. Je ne voulais voir personne. J’étais heureuse de rester seule et bien tranquille chez moi et voilà que je me sens poussée à accueillir cette personne en détresse… Il est à noter que l’ombre ne se manifeste pas simplement en nous. Quand l’énergie du soi est mobilisée, il peut y avoir des échos à l’extérieur. On appelle ça le « destin », le « hasard », la « chance » ou la « malchance ». Jung, pour sa part, y voyait des synchronicités. Ces coïncidences de sens impliquent que l’individu n’est pas une entité séparée qui existe indépendamment de tout le reste mais un être de relation qui est en résonance permanente avec l’ensemble du monde.

 

Frédéric Blanc : Page 145 je relève une autre passage tout aussi intéressant : « La psychose est une part de notre psychisme qui ne vit que pour elle-même et qui ne communique avec rien […] Aveugle et absurde, elle ne négocie pas, car elle ne voit rien d’autre qu’elle-même, et va jusqu’à détruire l’hôte qui l’abrite, indifférente même à sa propre mort. » Voilà une assertion tout bonnement terrifiante. Cette part psychotique existe-t-elle en chacun d’entre nous ?

Lily Jattiot : Oui.

Frédéric Blanc : La psychose est-elle un aspect de l’ombre où appartient-elle à un autre ordre de réalité ?

Lily Jattiot : Notre part psychotique ne se confond pas exactement avec l’ombre car contrairement à cette dernière elle n’est ni capable ni désireuse d’entrer en communication avec qui ou quoi que ce soit. La psychose représente ce que j’appelle « la faille du Soi ». Le Soi représentant la totalité de notre psychisme, il est inévitable qu’il englobe aussi son contraire.

Frédéric Blanc : Le Soi aurait-il une ombre ?

Lily Jattiot : Si tu veux… Nous autres humains sommes par essence des êtres de sens et de communication. En tant que tels, nous sommes en relation avec tout. Or, dans ce tout existent également le non sens et la non communication. Une part d’absurde à jamais non résolue. C’est vrai sur le plan individuel mais aussi sur le plan collectif. La démocratie qui est une société fondamentalement ouverte va inévitablement se heurter à des forces dont le seul projet est de la détruire. Nous n’avons pas d’autre choix que de composer avec ces idéologies. Il est illusoire d’espérer qu’elles vont un jour disparaître. L’humain comportera toujours sa part d’inhumain. Raconter autre chose me paraît irresponsable.

Frédéric Blanc : Tu affirmes que l’on peut entrer en amitié avec l’ombre. Pouvons-nous espérer nous réconcilier un jour avec notre part psychotique ?

Lily Jattiot : Non. On peut éprouver de la compassion pour cette part mais elle ne sera jamais payée en retour. Il ne faut pas espérer de « happy end ». Daniel Morin disait que la compassion est « l’amour impuissant ». Quels que soit l’ampleur de mes efforts, quelle que soit l’étendue de mes progrès, cette faille du Soi continuera à rester béante. Rien ne viendra jamais la combler. Il vaut mieux le savoir dès le départ. Cela va nous éviter quelques grosses erreurs.

 

Frédéric Blanc : Une dernière question pour la route. Tu écris page 128 : « Plus notre savoir augmente et plus nous nous rendons compte que notre ignorance est grande […] Développer nos connaissances est aussi fréquenter notre ignorance qui, paradoxalement, grandit avec elles. » Est-ce la même chose dans le travail thérapeutique ?

Lily Jattiot : Je ne dirais pas ça comme ça. Je dirais que plus notre niveau de conscience augmente et plus nous réalisons l’étendue de notre inconscience. Plus je sais et plus je sais aussi que je ne sais pas. Dans ce cas là, il ne faut pas recourir à une logique classique du type : si l’un grandit l’autre rétrécit. On pourrait dire que l’ombre croit parce que l’ensemble croit.

Interview réalisée le 5/07/2018

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