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La transmission du yoga par André Weill

André Weil

Quel sens donnez-vous à transmission du yoga ?

« Atha yoga-anuśāsanam »[1]. Ainsi le premier aphorisme du premier chapitre des célèbres «  Yoga sutra » de Patanjali. Aphorisme que l’on entend généralement comme « Maintenant, l’enseignement du yoga » mais qui prend aussi le sens de « Le Yoga, un enseignement du maintenant ».

Atha signifie « maintenant », cet espace hors temps, sans dimension. C’est un premier de cordée, un peu comme Bereshit, qui ouvre la bible, ou comme Alef, la tête de classe de l’alphabet hébraïque. Voyageant dans la pirogue du maintenant, le yoga se vit dans le sablier de l’éternel maintenant. Atha, port d’embarquement  du yoga, contient en lui seul la globalité de l’enseignement du yoga.

Le terme Anuśāsanam  veut dire discipline, instruction. Le préfixe anu souligne l’idée de continuité, de non-interruption. Donc de transmission. Ainsi, pour Patanjali, le yoga embrasse le paradoxe du maintenant et de la transmission à travers les âges. De génération en génération, il transmet le dévoilement de l’âme. Hors de tous dogmes, dans la seule authenticité du moment présent, la transmission du yoga concerne le vivant. Et non pas une règle à jamais figée dans le marbre. S’il est vraiment sage, le professeur « ne nous invite pas à entrer dans la maison de sa sagesse, mais nous conduit plutôt au seuil de notre propre esprit et de notre propre cœur[2] ».

[1] Yoga Sutra de Patanjali  / I-1.
[2] Le prophète – Khalil Gibran – Ed. Casterman 1974

Au-delà des aspects matériels, pourquoi est-ce que vous transmettez le yoga ?

Dans le sens habituel du terme, la transmission (trans-mission ?) suppose la rencontre d’un professeur et d’un élève. Ce sont deux rôles, deux entités distinctes qui contractualisent un échange. Le début de la transmission du yoga se positionne donc classiquement dans le temps et l’espace, i.e. dans une perspective duelle.

 

Dans un premier temps, le professeur énonce la perspective du yoga, le Samâdhi, l’indifférencié, et notamment les obstacles (kleshas) rencontrés au cours du chemin, que sont l’ignorance, le moi, l’avidité et les refus. Avec douceur et fermeté, il invite l’’élève à une discipline relationnelle, corporelle, psychique et spirituelle adaptée à sa personnalité, la sadhana. De par ce qu’il est, plus que de par ce qu’il dit ou fait, le professeur transmet le gout de la tradition : yama, nyama, asana, pranayama, pratyahara, dharana et dhyana.

 

Il transmet le gout du regard orienté vers l’immobile, cela qui est caché par les agitations du monde. Le gout de porter conscience, de porter attention. Gout de prendre soin de l’instant naissant. Gout à la tolérance et à la patience. Il transmet que rien n’est jamais acquis, que tout ce qui est né disparaitra, que tout change toujours, loi de l’impermanence. Il transmet que la connaissance vient de la pureté du regard. Que le fruit nait grandit et tombe de l’arbre qui lui-même nait grandit et meurt.

 

Puis un jour la linéarité de la transmission disparaît. L’arbre et le fruit ne naissent ni ne meurent mais participent du même cycle de floraison du vivant, vibhuti. C’est la loi de l’éternité, dans laquelle le fruit et l’arbre se savent de la même Source, de la même planète et se fertilisent l’un de l’autre. Il n’y a plus d’élève ni de professeur. Ils fleurissent l’un de l’autre dans le cycle du vivant. Sans savoir quand la transmission a commencé, le professeur et l’élève se reconnaissent (Jnâna) dans la même pirogue, voyageurs du Un sans identité, à l’embouchure du fleuve, face au grand Océan.

 

Le geste et la mémoire disparaissent. Les voilà dévoilés, kaivalya, sans masques, libres du jeu de rôle, ni élève ni professeur, mais désidentifiés, insoumis aux agitations du monde. C’est le quatrième chapitre de Patanjali, Kaivalya, la maturation, la solitude, la fin du concept de voyage, la fin du concept de la transmission, l’éveil à soi.

 

André Weill.
Sa carte d’identité le dit domicilié à Meylan dans l’Isère et né en 1948. Fragile et impatient, le cœur gourmand, les pieds frémissants, il marche. Les livres le disent pèlerin au long cours (Compostelle, Auschwitz, Jérusalem, Sources du Gange  etc.).
Père et grand-père, citoyen du monde, amoureux des grands espaces, de la pluie du soleil et du grand vent… L’air du temps le dit parfois physicien, écrivain ou bien encore professeur de Yoga… Il se méfie beaucoup de ceux qui disent, de ceux qui savent, des listes à la Prévert … et des cartes d’identités.